Comme pour les hommes, il est également possible de donner un type à un pays. Si certains pays sont plus facilement « typable » que d’autres ce n’est pas le cas de l’Allemagne. Un fil très intéressant sur le site de l’Institut Français de l’Ennéagramme montre toute la difficulté sur la détermination de l’ennéatype du pays où les avis divergent quant à un consensus définitif. Il en ressort néanmoins deux principaux types : le 6 et le 9. Il n’est pas l’objet de ce billet de refaire le fil de la discussion précédemment indiqué mais plutôt d’apporter ma petite contribution d’expatrié français vivant en Allemagne depuis quelques années.
6 ou 9 ?
À première vue, difficile d’associer à l’Allemagne les caractéristiques du 9 tant l’imaginaire collectif associe les Allemands à quelques stéréotypes bien ancrés. Peu hospitalier, rigoureux voire trop rigide, manquant d’humour et de spontanéité pour ne citer que les plus courants… J’avais (je l’avoue) ce genre de stéréotypes avant d’atterrir de l’autre côté du Rhin. Lorsque je découvris l’Ennéagramme et commençais à me familiariser avec le modèle il était pour moi évident que l’Allemagne était 6.
Mais comme il a été souligné dans le fil de discussion indiqué plus haut, on ne peut pas parler d’Allemagne mais des Allemagnes tant il y a de différences de caractères et de contrastes entre l’Allemagne du sud (Souabe, Franconiens et Wurtembergeois) et la région du Brandebourg ou encore la Rhénanie. Pour autant, bien que des différences peuvent être marquées entre régions, celles-ci semblent être plus liées aux comportements qu’aux motivations et il me semble qu’il y ait bien une structure de caractère commune.
Arrivant d’Angleterre où j’ai passé trois ans, j’ai eu beaucoup de mal à m’acclimater à mon nouveau pays. Le côté un peu brusque de leur personnalité, leur manque de politesse, la conduite agressive des automobilistes contrastait avec la culture de nos voisins d’outre-manche. Être ou paraître « rude » en Angleterre est en effet très mal vu. Que ne fut pas ma surprise de découvrir la conduite dans les grandes villes allemandes où l’on vous klaxonne immédiatement si vous avez le malheur de ne pas démarrer sur le fil une fois le feu passé au vert, ou encore quand la caissière de supermarché vous presse de payer sans attendre que vous ayez fini de remplir vos sacs. Le « would you like some help ? » des caissières anglaises pour vous aider avec vos sacs contrastant avec l’impatience et l’agacement de leurs homologues allemandes, vous fustigeant du regard si vous avez le malheur d’attendre de finir vos sacs avant de payer.
Même le célèbre artiste Chinois Ai Weiwei y est allé de son couplet sur les allemands. Après avoir vécu quatre ans à Berlin celui-ci a décidé de quitter l’Allemagne avec fracas, dénonçant la mentalité allemande qu’il qualifie de conservatrice et fermée sur elle-même et n’aimant pas les étrangers. Il avait également beaucoup de mal avec leur manque de politesse et a finalement choisi de vivre en…Angleterre.
Les allemands 6 contre-phobiques ?
Il y a chez certains allemands comme un côté sérieux, parfois dur comme on le voit chez les 6 contre-phobiques. Une forme de rigidité et d’apparente rudesse nourrit de méfiance et de crainte de l’autre. J’ai remarqué que vis-à-vis de l’étranger et particulièrement du français, qu’il y avait beaucoup de projection. Comme l’anticipation négative (en tout cas potentielle) qu’on pouvait à tout moment leurs faire une remarque, une critique ou même une plaisanterie qui aura trait avec leur histoire douloureuse. J’ai pu rapidement constater que les plaies du passé étaient encore bel et bien présentes. Du coup, leur attitude de contrôle et de manque de spontanéité peut être perçu comme une forme de protection, d’armure. La culpabilité s’est transmise de génération en génération et même si elle est moindre chez les jeunes aujourd’hui, elle est un marqueur de l’identité allemande d’aujourd’hui.
Un jour, je discutais avec une voisine allemande, le lendemain de leur victoire à la coupe du monde 2014. J’exprimais mon étonnement de ne pas avoir vu les allemands fêter plus que ça leur victoire comme on a pu le voir en France en 1998. Celle-ci m’expliquait que c’était mieux et préférable ainsi car à être trop démonstratif les autres pays finiraient par leur rappeler les horreurs qu’ils avaient commises durant la guerre ! Elle m’expliqua que quoiqu’ils disent ou fassent qu’il y avait toujours pour eux le risque que l’on ramène tout par rapport à leur passé.
Une autre fois, une réceptionniste (jeune pourtant) de l’agence chez qui je prenais des cours de langue m’avait confiée à quel point elle se sentait humiliée à chaque fois qu’un film sortait où ils étaient systématiquement présentés comme les méchants nazis… Même mon médecin généraliste lorsqu’il a su que j’étais français m’a tout de suite raconté son expérience amère durant un weekend à Paris dans les années 90 lorsqu’un serveur lui dit en rigolant que les allemands étaient finalement toujours restés un peu nazi…
Ma propre projection
J’aimais beaucoup l’Angleterre et je me rends compte que je projetais beaucoup mes propres peurs. Je venais en Allemagne à reculons et passais mon temps à souligner tout ce qui était négatif. Au premier abord c’est vrai qu’ils paraissent plus froids, plus sérieux que les anglais ou les français. Avec le temps je me suis rendu compte que là où je voyais de l’agressivité, j’y voyais ma propre agressivité, là où je relevais un manque d’ouverture, je projetais mon intolérance nourrit de critiques accusateurs pointant du doigt tout ce qui n’allait pas en généralisant sans nuance.
Mais avec le temps j’ai découvert des gens simples, réservés, pris dans une sorte de confusion entre l’envie de montrer l’image d’une Allemagne accueillante, moderne et tournée vers le monde et l’impossibilité pour eux de rompre avec un passé marqué par l’horreur nazi.
Au fur et à mesure que je m’ouvrais et que j’apprenais à les connaître, je découvris un peuple qui finalement aime les choses simples, qui apprécie leurs habitudes et leurs routines, pas nécessairement tourné vers le futur mais bien ancrée dans le présent, très pragmatique. Deux choses ressortent néanmoins et qui sont évidentes, leur rapport simple presque innocent avec la nature et la recherche quasi systématique du consensus et ce à tous les niveaux de la société.
Motivations du 9
Je me suis donc mis à chercher ce qui motivait réellement les allemands au-delà des apparences et des stéréotypes. Et ce que j’ai trouvé tend inévitablement vers le 9. Le fil de discussion au début de cet article regorge d’arguments qui tendent aussi vers le 9. Je vous invite donc à parcourir les échanges qui s’y trouvent.
Pour ma part, en recherchant sur internet j’ai trouvé ce livre La Bavière et la Saxe écrit en 1911 par Jules Huret. L’extrait suivant résume presque à lui tout seul la structure de personnalité du type 9. Jules Huret voyageant en Allemagne depuis plusieurs mois déjà, rencontre un allemand qui lui explique la mentalité allemande. « L’ Allemand travaille beaucoup mais n’est pas intéressé : il travaille parce qu’il faut qu’il vive. Un pays comme un homme a besoin de richesses pour vivre, c’est-à-dire d’économies. Or, l’Allemagne fut ruinée par des siècles de guerres incessantes, elle ne commence à se refaire que depuis quarante ans. En ce moment l’Allemagne est toute à s’enrichir. Il lui faut cinquante ans encore de travail acharné. Alors, l’espèce d’arrêt que vous constatez dans sa vie purement intellectuelle aura pris fin, et vous verrez chez nous une floraison nouvelle de philosophes, de poètes et d’artistes désintéressés. Car au fond l’Allemagne est idéaliste, elle aime seulement la nature et l’amour. Le luxe, les bijoux, les toilettes ne l’intéressent pas. Tout cela est bon pour les latins futiles. (…) L‘Allemand n’est pas assez personnel, continue-t-il, c’est un enfant studieux ayant trop de facilité d’adaptation« .
Dans cet extrait, il y a quasiment toutes les principales caractéristiques de l’énnéatype 9.
Omniprésence d’un centre instinctif fort, oubli de soi renforcé par une narcotisation par le travail exprimant une « anesthésie » du soi typique chez les 9, attirance pour les choses simples, attrait pour le romantisme au travers de l’amour et la nature et pour finir, la fusion du type caractérisée par une « trop » grande facilité d’adaptation.
Rappelons que ces extraits viennent d’un livre écrit au début du 20ème siècle et qui parle d’une Allemagne ruinée par des siècles de guerres et qui ne tient évidemment pas en compte des deux guerres mondiales qui ont suivi. L’image de l’allemand rigoureux et travaillant dur prévalait déjà à l’époque ! Mais on ne le répètera jamais assez, ce que l’on voit n’est pas forcément qui on est. Quand on dit que l’Ennéagramme n’est pas affaire de comportements mais bien de motivations cela n’a jamais été aussi vrai pour les allemands.
Pour paraphraser Jules Huret cité plus haut, il faudra malheureusement encore aux allemands, cinquante ans ou peut-être même cent ans encore de dur labeur pour pouvoir « revoir une floraison de poètes, philosophes et artistes qui chanteront l’amour et la nature ».